SECOUSSE

Vingt-sixième secousse

Enquête : Le style est-il de droite ?

L’attribution du prix Nobel à Annie Ernaux a donné lieu à un débat très animé, souvent virulent, entre ceux qui estiment cette récompense injustifiée, au motif de l’étroitesse de ses thèmes et de la banalité de son écriture, parti qu’elle revendique sous le nom « d’écriture plate », et ceux qui, se félicitant de cette consécration, mettent en avant son engagement social et l’efficacité de ses récits, et accusent ses détracteurs d’être réactionnaires et misogynes. Au plan littéraire, la querelle porte essentiellement sur la question du style. Une opinion assez répandue parmi les tenants de la récente nobelisée peut se résumer ainsi : l’effort au style est de droite. Au-delà de votre avis éventuel sur l’œuvre d’Annie Ernaux, qu’en pensez-vous : le style est-il de droite ?

• Anthologie► Du style, exercices et polyphonies - Anthologie composée par Catherine Soullard

  Le meilleur esprit, s’il n’a de la pointe, est impuissant à porter coup. Cette épice, qui n’est rien par elle-même, et sans qui les dons les plus rares sont des vertus au bain-marie, c’est le style, dont l’autre nom est l’imagination.

• Pierre Bergounioux ► Dire ce qui est

  ...Deux styles, depuis lors, se disputent le registre de l’expression parce que deux classes sont aux prises pour l’exercice du pouvoir. Les écrivains de gauche sont ouverts au réel, c’est-à-dire à l’injustice et, donc, aux langages concurrents, redoutables qui la constatent...

• Gérard Cartier ► L'opium des Lettres ?

  ...Et si la redoutable Machine avait un peu de style, elle aurait pu terminer par un trait d’esprit : comme si le fait de bien s’habiller était la marque d’une opinion de droite et que, quand on est de gauche, on devait aller dépenaillé...

• Sophie Coste ► L'élégance du désespoir ?

  ...un monde à créer, cela ne se fait pas avec sujet-verbe-complément. Il y faut de l’ampleur. Le style alors se fait force musculaire qui, d’un seul souffle soulève à bout-de-bras hors du chaos le poids d’une phrase chargée à bloc d’un sens introuvable ailleurs qu’en elle...

• Michel Crépu ► Propos sur le style

  ...Le style est une simple affaire de code, la singularité est une affaire existentielle. On peut mentir avec le style, on ne fait même que cela. Le style sert à cacher l’inavouable avec plus ou moins de talent...

• Norbert Czarny ► Voir et sentir autrement

  ...Je ne sais si « le style c’est l’homme », un cliché de plus. Je sais simplement qu’il distingue l’écrivain qui choisit la solitude, dont la vie se confond soudain avec le travail harassant, comme chez Proust, pour nous émouvoir ou nous donner à voir et sentir autrement.

• René de Ceccatty ► De l’usage de la critique de style

  ...La maîtrise des mots et des phrases serait-elle donc de droite et l’apanage des classes dominantes ? C’est absurde. Toute langue littéraire est une langue acquise. Il n’y a pas plus de langue de naissance, que de langue de classe. Ni langue de sang, ni langue de territoire...

• Christian Doumet ► Adorno, Pasolini et le style

  ...Envisager le style comme cette succession d’ajustements, c’est en somme y reconnaître ce que Bergson nommait « l’intuition du devenir » [...]. Un tel renouvellement évoque le jaillissement inépuisable des générations, la perpétuelle reconduction du vivant : l’élan de la vie même manifesté dans l’écriture....

• Marie Étienne ► Figures de style

  ...Ma déception et mon irritation proviennent-elles du style ? Bien sûr que non, mais il y participe. Annie Ernaux le pense comme elle conçoit la Vérité : propre et net, hors de soi, sans subjectivité.Comme si c’était possible...

• Christian Garcin ► Emberlifications

  ...la phrase longue et emberlificatrice, donc malhonnête, versus la phrase simple, directe, franche, donc honnête (quelle idiotie, mon dieu !) (j'ai déjà lu ça, dans des articles de presse par exemple)...

• Denis Grozdanovitch ► Une affaire d'exactitude ?

  ...cette écriture plate (prônée si étourdiment par notre récent prix Nobel national) a toutes les chances de se retrouver innocemment contaminée par cette funeste doxa actuelle, laquelle, sous prétexte de nous relier à l’universel, ne fait que se conformer à l’uniforme...

• Hubert Haddad ► Bonheurs d’écriture

  ...les tenants du commentaire diffus et de la doxa universitaire lui ont substitué naguère la sacro-sainte écriture, (...)  qui s’est incarné en littérature dans une forme d’esthétique hygiéniste, un certain design à vocation industriel, excluant la métaphore et toute présence humaine, subjective et libertaire, au profit de la description maniaque du monde objectal...

• Jean-Yves Laurichesse ► Des univers particuliers

  ...je ne prétendrai pas, comme certains, qu’Annie Ernaux « n’a pas de style », mais que son choix d’une écriture qui refuse les effets est encore un choix de style, qui correspond à sa vision du monde et à la fonction qu’elle assigne à la littérature, l’une et l’autre éminemment politiques (ce qui à mes yeux en réduit tout de même singulièrement la portée).

• Jacques Lèbre ► Style, mon beau miroir

  ...Le style est-il de droite ? Allons donc ! (...) Le style soutient le propos, il n’est pas lui-même le propos ; il est le support, et non pas le fait. Si l’on peut voir l’eau bouillir dans une casserole, on n’a jamais vu bouillir la casserole elle-même...

• Jean-Claude Lebrun ► D'un style sans rivages - Avec un jeu littéraire

  ...Ce détour de sept décennies permet d’observer à quel point l’interrogation sur le style, réactivée par l’actuelle polémique sur la prétendue absence de style d’Annie Ernaux ou de Michel Houellebecq, ne relève en rien de la nouveauté. On pourrait même remonter plus loin, au tout début du XIXe siècle, avec le débat autour de l’art pour l’art...

• Yaël Pachet ► De la difficulté de distinguer sa gauche de sa droite

  ...Si le style est, selon la définition qu’en donne Greimas et Courtès dans le Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, quelque chose dont « il est difficile, sinon impossible, [de] donner une définition sémiotique », on peut en conclure que c’est quelque chose qui appartient plutôt à la gauche. La gauche aime beaucoup ce qu’il est impossible de définir...

• Éric Pessan ► Petit traité de style et de politique

  ...il faut une sacrée prétention ou un sacré aveuglement pour oser dire que l’on sait détecter à coup sûr la pensée politique d’un auteur en lisant une poignée de phrases écrites de sa main. Pour ma part, je pense que les gens qui divisent les gens en deux camps sont forcément de droite.

• Jean-Claude Pinson ► Styles : au pluriel

  ...« L’effort au style », en tant que « science des nuances et des moires » est en mesure de défaire l’emprise des stéréotypes (des « briques » préfabriquées ») que véhiculent les divers usages idéologiques du langage...

• Catherine Rey ► D'où est-ce qu'on écrit

  ...Ces œuvres adoptent de nouveaux dispositifs narratifs : le fragment, le journal intime, le récit bref, la description de photos. Leurs auteurs utilisent les outils de la sociologie. C’est une littérature du moi sans nombrilisme car elle parle à tout le monde et sa visée est universelle...

• Olivier Rolin ► Facile à dire...

  ...Le style sépare, singularise, distingue : ce serait « de droite » ? Le style est une déviance, un écart, un refus de faire marcher la langue au pas : ce serait « de gauche » ? Quelle blague...

• Alain Roussel ► Questions de style

  ...L’absence de style est-elle encore un style ? Avez-vous encore beaucoup de questions à poser sur le style ? Le prix Nobel de littérature donne-t-il du style à une œuvre ?

• Jean-Philippe Toussaint ► Précision

  ...dire une expérience de la réalité de la manière la plus concise et la plus complète possible. Paradoxalement, la rigueur de Pythagore rejoint le classicisme de Boileau. Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, n’est-ce pas..