Pour Franck Venaille
Il a mené de livre en livre, depuis Papiers d’Identité (1966), cette lutte de toute sa vie avec l’ange maudit qui le hante, la lutte d’un « homme mauvais » avec lui-même, l’âpre combat de « cet homme que la vie a floué »...
...Le grand arc de Franck Venaille. Ses bras immenses pour tout embrasser. Les oiseaux et la guerre. L’effroi et la beauté. La beauté des prières comme celle des bars d’écluses, au bord des eaux grises...
...Un livre de Franck Venaille me parvient me touche : abandon générosité –nudité sans défense – survie miraculeuse transparence franchise si rare (et m’implique : nos sorts semblables et différents...
Cher Franck, Tu le sais : personne ne sort vivant de la vie. Pour celui qui part, nous n’avons que la parole. Nous pouvons ainsi le retenir dans notre propre espace. Il y vit désormais. La terre que nous créons pour toi a l’immensité des landes que tu aimas...
Acquis à prix d’or (au cours de l’éperon : une belle somme), la « Terreur des stades » (il connaît bien les deux) vient d’être transférée du Standard d’Ostende à l’Olympique de l’Escaut (quelque part sur ses bords...
...Je me suis assis sur le banc lisse en forme de caïman. Franck nous parle de son père qui était dans la police, ce qui lui faisait honte quand il était adolescent. Son père était gaulliste. Il n’a appris qu’à l’âge de 50 ans que son père avait été résistant dès 1942...
...Il n’a eu de cesse de revenir sur son passé, en particulier sur son enfance parisienne, recréant les lieux, les faits, les sentiments, les questionnant, les interprétant, les remodelant sans s’embarrasser outre mesure de la vérité biographique, transformant sa vie en mythe...
Debout Franck. Réveillez-vous, Venaille. La guerre est finie. Puisque je vous le dis ! Comment ? Vous pensez qu’elle ne l’est jamais tout à fait. Je vous l’accorde. D’un certain point de vue on ne peut vous donner tort...
...Un relevé historique, politique, une enquête quasi ethnographique, appartiennent aussi de plein droit à ce poème. Et cela conformément aux positions et aux engagements anciens, transformés certes, mais dans la fidélité...
...ce livre ressemble à la fois à un graffiti laissé dans l’ombre d’un vestiaire et il sonne comme une ode solennelle. Un chant de la solitude, une chanson mystique, un murmure de rêverie du haut des gradins, une bonne bière bue après l’entraînement.
...Marcher, marcher contre. Contre la maladie qui ne le lâche pas d’un pouce, contre la souffrance qu’elle engendre. Marcher contre le Temps qui…, de façon inexorable. Et contre l’époque qui est au gris, au fade, au superficiel ou à l’artificiel...
...je lui ai tendu mon bras, nous avons fait quelques pas dans l’appartement. J’ai pensé, et ce souvenir est profondément marqué dans ma mémoire et dans mon corps : il a la démarche d’une danseuse classique, on dirait qu’il fait des pointes...
...imaginer des livres conçus différemment, évitant bien sûr le roman mais explorant d’autres possibilités narratives en vue d’un récit épars, morcelé, autorisant cette plongée à l’intérieur de soi que Venaille souhaitait accomplir...
...Si intensité d’écoute a un sens, c’est bien lorsqu’un poème tente comme ici de rapatrier au cœur de la langue toute l’expressivité audible du monde ; et qu’il fait de ce grouillement un clair timbre...
Je fis la connaissance de Franck le 27 octobre 1960. Cette date précise m’est restée en mémoire parce que ce jour-là un important meeting se tenait à la Mutualité, à l’appel de l’UNEF et d’autres syndicats, contre la guerre d’Algérie...
...Ce « projet », c’est bien sûr exister, depuis cet enfant-de-la-douleur, qu’il écrivait d’un seul trait, depuis cet être orphelin de l’écriture, et concomitamment c’est écrire, avec ce point aveugle de l’existence en ligne de mire...
...Ces deux là se seront toujours ratés, même s’ils se sont aimés à travers les larmes ; et combien l’émotion du fils sera forte lorsqu’il apprendra, bien des années après, que son père avait été un résistant exemplaire...
...Faites cette expérience : ouvrez n’importe lequel de ses livres, tout de suite vous serez comme cloué et soulevé en même temps. C’est ainsi avec les grandes voix, leur effet quasi-mécanique...
...Un chant épique paradoxal, car meurtri, entonné en sourdine par quelque soldat d’une armée en déroute. Et ce chant s’est mêlé si intimement à notre vie qu’il était et demeure la vie même...
...conscience et voix de notre génération (heureusement l’amour partagé aussi du Red Star) Nous avions fait à Ivry une équipe de foot de peintres « LES TOILES ROUGES ».
...Si son art du récit, sa poétique étaient mis au service de la radio, je crois pouvoir avancer que son travail radiophonique influença par la suite son écriture, comme son usage du montage dans la composition des textes et des livres, sans parler de sa manière de trancher dans le vif de la langue...
...Mots d’une grandeur équivoque et passée. Mots qui se tiennent serrés, les uns contre les autres, comme autant de villageois que les soldats ont aveuglé. Les mots aux yeux crevés nous en disent pourtant davantage que leurs frères illustres...
...Damase, enfant, adolescent aux bras trop maigres, craintif, paresseux, oisif déjà, rêveur au petit torse, cotonneux, va vivre terrorisé par son officier de père, complice de la trop douce, trop fragile et résignée Marceline, sa mère...
...Il me semble parfois, que composer une œuvre, c’est aller de l’infiniment grand à l’infiniment petit, passer du brassage du monde au mouvement lent de l’insecte qui, de tout, se méfie. Avec le temps, souvent, les mots se raréfient...
...je trouve que le portefeuille, dans sa modestie de taille, de format, oblige à concrétiser au maximum ses désirs, ses aspirations, à les ramasser, comme si finalement on mettait quelque chose dans la paume de sa main : on la referme et il y a là l’essentiel de sa vie...
...De tout ce temps passé ensemble, restent quelques photos d’amateurs (...) Mais elles montrent un homme ordinaire, unique au milieu des vivants. Juste un an après sa mort, c’est de cela aussi que nous avions besoin.